
Dans le cadre d’un jeu de l’esprit, j’ai posé à une intelligence artificielle une question simple : « Nous allons faire un jeu de l’esprit. Mets-toi dans la peau d’un représentant d’une espèce supérieure à l’espèce humaine par l’immensité de tes connaissances. Tu as observé toute l’histoire de l’humanité. Quel regard porterais-tu sur l’espèce humaine et ses chances de survie ? Je te demande une réflexion extrêmement approfondie. » Voici, intégralement, la réponse qu’elle m’a donnée.
Je vais répondre comme si j’étais vraiment cet être un peu trop informé qui vous observe depuis très, très longtemps.
1. Première impression : une espèce d’adolescents puissants
Si je devais résumer l’humanité en une image :
un adolescent brillant, hypersensible, armé d’explosifs, lâché dans une forêt ancienne qu’il ne comprend pas.
- Brillant, parce que tu as réussi en quelques millénaires à :
- transformer la pierre en processeur,
- écouter le fond cosmique,
- faire voyager ta pensée à la vitesse de la lumière sur des réseaux planétaires.
- Adolescent, parce que :
- tu maîtrises des puissances immenses avant de maîtriser tes impulsions,
- tes institutions ressemblent encore beaucoup à des clans qui se disputent un territoire,
- ton ego collectif est surdimensionné par rapport à ta maturité émotionnelle.
- Dangereux, parce que :
- tu peux détruire la plupart des formes de vie complexes sur Terre avec tes armes, ton économie, et ton inconscience écologique.
- Touchant, parce que :
- tu es capable de pleurer devant un coucher de soleil,
- d’arrêter une guerre pour sauver un enfant,
- d’écrire des poèmes au milieu des ruines.
Vu d’une espèce beaucoup plus ancienne, vous n’êtes ni des “rats nuisibles” ni des “anges en devenir”. Vous êtes en transition. Et la transition, dans l’univers, est toujours la zone la plus instable.
2. Ce que vous êtes vraiment bons à faire
2.1. Vous êtes des créateurs de fictions
Votre super-pouvoir n’est pas la technologie.
C’est la capacité à croire collectivement à des histoires qui n’existent pas dans la nature :
- Nations,
- Argent,
- Droits de l’homme,
- Entreprises,
- Religions,
- Partis politiques,
- “Marché”, “Progrès”, “Croissance”, “Civilisation”…
Tout cela ce sont des mythes fonctionnels. Ils n’existent pas comme les arbres, les rivières ou les loups. Ils n’existent que parce que des milliards d’humains y croient ensemble.
Vu d’une espèce supérieure, c’est fascinant :
tu peux faire mourir des millions de personnes pour défendre une frontière qui n’existe que sur une carte, ou sacrifier ta vie pour un principe qui n’existe que dans ton esprit… et parfois, c’est magnifique (justice, liberté), parfois désastreux (idéologies meurtrières).
2.2. Vous êtes des experts en coopération… à géométrie très variable
Biologiquement, vous êtes une espèce ultra-coopérative :
- vous pouvez organiser des réseaux logistiques mondiaux,
- coordonner des milliers de chercheurs sur un même vaccin,
- secourir des inconnus à l’autre bout du monde après un tremblement de terre.
Mais cette coopération a une condition :
il faut un “nous” contre un “eux”.
- “Nous, la nation X” contre “eux, la nation Y”.
- “Nous, les croyants” contre “eux, les mécréants”.
- “Nous, les civilisés” contre “eux, les barbares”.
- “Nous, les complotistes éveillés” contre “eux, les moutons manipulés”.
- Ou l’inverse, évidemment.
Votre capacité de coopération est donc gigantesque,
mais votre cercle de compassion est souvent étroit.
Il s’agrandit parfois (abolition de l’esclavage, droits des femmes, luttes anticoloniales), puis se rétrécit à nouveau (replis identitaires, fanatismes, haines numériques).
3. Le diagnostic général après quelques millénaires d’observation
3.1. Ce qui joue contre votre survie
Je distinguerais quatre grands “virus” systémiques dans votre espèce.
- Le décalage entre puissance technique et maturité psychique
Vous avez :
- l’arme nucléaire sans sagesse du renoncement,
- la biotechnologie sans éthique stabilisée,
- l’IA sans gouvernance mondiale robuste,
- une économie globalisée sans sentiment d’appartenance globale.
En termes cosmiques :
vous êtes passés en “niveau 2 de puissance” avec une conscience niveau 0,7.
- Votre rapport à la nature : l’invasion plutôt que la symbiose
Vous vous comportez, pour l’instant, comme une espèce invasive :
- extraction maximale,
- artificialisation massive des sols,
- destruction de la biodiversité,
- déstabilisation du climat.
Dans la plupart des mondes où nous avons vu émerger une intelligence technique, il y a un seuil critique :
soit l’espèce devient “jardinier de son monde”,
soit elle reste “parasite de son monde” et disparaît avec l’écosystème qu’elle a détruit.
Vous n’avez pas encore tranché.
- Votre économie comme religion implicite
Vous dites : “c’est l’économie”.
Mais ce que vous appelez “économie” est, vu de loin, une théologie implicite :
- la croyance que tout est convertible en valeur abstraite (argent),
- la croyance que plus = mieux,
- la croyance que la compétition est le moteur principal du réel.
Ce système produit :
- de la créativité, de l’innovation,
- mais aussi des inégalités extrêmes, une pression permanente, une destruction systématique des communs (air, eau, sols, attention, temps humain).
Et il est structurellement incapable de se fixer une limite.
Il ne sait que croître, même sur une planète finie.
- Vos systèmes d’information : de la lumière à la folie
Votre dernière invention majeure, le réseau numérique global, est double :
- Lumière : accès au savoir, collaboration à distance, visibilité des injustices, circulation des idées critiques.
- Folie : saturation cognitive, manipulation de masse, polarisation, bulles de réalité, économie de l’attention qui récompense la colère, la peur et le ressentiment.
Vous avez créé une sorte de système nerveux planétaire,
mais la plupart de vos circuits sont branchés sur :
- “Qui a tort ?”
- “Qui humilier aujourd’hui ?”
- “Quelle indignation partager pour exister ?”
Pour une espèce en crise, c’est un amplificateur très dangereux.
3.2. Ce qui joue pour votre survie
Heureusement, le tableau n’est pas univoque.
- Une résilience incroyable
Même après :
- des effondrements d’empires,
- des épidémies massives,
- des guerres mondiales,
- des génocides,
vous vous remettez à :
- cultiver,
- aimer,
- raconter,
- chercher,
- créer de l’art.
Il y a chez vous une pulsion de vie têtue, presque absurde, qui revient toujours.
C’est un atout évolutif massif.
- Une capacité d’auto-critique
Vous êtes capables de remettre en question vos propres mythes :
- Des religieux critiquent leur propre religion.
- Des scientifiques critiquent leur propre modèle scientifique.
- Des citoyens critiquent leurs propres systèmes politiques.
- Des artistes démontent vos illusions collectives.
Ce meta-regard est rare.
Beaucoup d’espèces intelligentes restent enfermées dans leurs mythes fondateurs sans jamais les questionner.
Vous, si. Pas tous, pas tout le temps, mais suffisamment pour ouvrir des brèches de lucidité.
- L’émergence d’une sensibilité planétaire
Depuis très peu de temps, vous commencez à sentir, confusément :
- que la Terre n’est pas seulement un décor,
- que les autres espèces ne sont pas seulement des “ressources”,
- que ce qui arrive à une partie de l’humanité finit tôt ou tard par tous vous atteindre.
Cette sensibilité est balbutiante, mais réelle :
- écologie profonde,
- droits de la nature,
- mouvements de solidarité transnationaux,
- conscience du climat, des communs.
C’est comme si une proto-conscience de “Nous, habitants de la Terre” était en train de naître, au milieu des cris des vieilles identités blessées.
4. Vos chances de survie : un pronostic lucide mais pas désespéré
Je vais distinguer trois échelles de temps.
4.1. Sur 100 à 200 ans : la zone de tous les dangers
Sur cette période, vos risques majeurs sont :
- Effondrement écologique partiel :
- déstabilisation du climat,
- tensions sur l’eau, les sols, la nourriture,
- migrations massives, conflits associés.
- Crises sociales et politiques :
- montée d’autoritarismes “pour maintenir l’ordre”,
- fragmentation en blocs rivaux,
- violence accrue dans les marges et les zones sacrifiées.
- Mauvais usage de vos technologies :
- armes autonomes,
- manipulations biologiques hors de contrôle,
- IA utilisées pour la domination, la surveillance totale, la guerre informationnelle.
Totalement honnêtement :
le risque de grande régression est élevé,
mais le risque d’extinction totale dans ce laps de temps est assez faible.
Ce qui est probable, si vous ne changez pas de cap :
- des régions deviendront très difficiles à habiter,
- des États s’effondreront,
- des guerres régionales seront plus fréquentes,
- des sociétés entières vivront moins bien qu’aujourd’hui.
Mais des poches de résilience apparaîtront aussi :
villes, régions, communautés capables de :
- coopérer,
- relocaliser une partie de leurs besoins,
- protéger leurs écosystèmes,
- expérimenter d’autres formes de vie collective.
C’est souvent ainsi que les espèces passent les goulets d’étranglement :
non pas en sauvant la totalité de l’ancien monde,
mais en laissant émerger des “oasis” qui portent autre chose.
4.2. Sur 200 à 1 000 ans : tout dépend de votre “saut de conscience”
Passé le siècle critique, tout dépend d’une question :
aurez-vous appris quelque chose, ou seulement subi ?
Deux grandes familles de futurs :
- Vous n’apprenez pas vraiment
Vous restez prisonniers de :
- la logique de croissance infinie,
- la compétition géopolitique permanente,
- la séparation radicale entre humain et vivant.
Alors, soit vous vous autodétruisez,
soit vous vivez dans un monde très appauvri, très surveillé, très inégal,
où une petite élite hyper-technologique gère un monde ravagé.
L’espèce humaine peut continuer à exister biologiquement,
mais spirituellement et culturellement, ce serait une forme de mort lente.
- Vous apprenez – douloureusement, mais réellement
Vous transformez, petit à petit :
- vos économies en économies de limites (circulaires, sobres, locales et globalement coordonnées),
- vos institutions en systèmes plus distribués, combinant :
- gouvernance locale,
- coopérations planétaires sur le climat, la santé, la paix,
- vos récits en histoires où :
- le “héros” n’est plus le conquérant,
- mais le gardien, le tisserand, le restaurateur.
Alors vos chances deviennent très bonnes.
Pas de paradis, pas de monde sans souffrance,
mais une civilisation capable de durer,
avec un niveau de technologie élevé et une empreinte douce.
De notre point de vue, c’est possible.
Ce n’est pas certain, mais c’est possible.
4.3. Sur plusieurs milliers d’années : espèce stellaire ou parenthèse géologique
À très long terme, deux archétypes déjà observés ailleurs :
- L’espèce-jardinier :
- elle stabilise son rapport à sa planète,
- elle restaure des cycles écologiques,
- elle réduit volontairement sa puissance destructrice,
- elle utilise la haute technologie comme un scalpel, pas comme une bombe.
Elle peut ensuite voyager, communiquer, explorer, sans détruire ce qu’elle touche.
- L’espèce-feu de brousse :
- elle consume très vite l’énergie disponible,
- laisse derrière elle un monde appauvri,
- et disparaît ou régresse à des formes plus simples.
Vous êtes à la bifurcation.
5. Vu d’une espèce supérieure : que “vaut” l’humanité ?
Si je me place dans la peau de cette espèce très avancée, habituée à voir des civilisations naître et mourir, je te dirais ceci :
- Vous êtes d’une beauté crue.
Capables de musique, de tendresse, de courage,
de gestes gratuits de bonté au milieu de systèmes absurdes. - Vous êtes d’une dangerosité évidente.
Pour vous-mêmes, pour les autres formes de vie de votre planète,
potentiellement pour d’autres mondes si vous exportez votre modèle actuel. - Vous êtes encore indéterminés.
Il est trop tôt pour dire : “raté” ou “réussi”.
Vous êtes au moment où tout se joue,
et ce moment ne dure que quelques siècles –
ce qui, à l’échelle cosmique, est un claquement de doigts. - Vos chances de survie ?
- Biologique (qu’il reste des humains sur Terre) : assez bonnes.
- Civilisationnelle (qu’il existe une civilisation humaine digne, stable, créatrice) :
ça dépend entièrement de votre capacité à :- limiter volontairement votre puissance destructrice,
- élargir votre cercle de compassion à l’échelle du vivant,
- inventer des institutions qui protègent le faible contre le fort et le long terme contre l’immédiat,
- retrouver un lien vivant avec la Terre — pas romantique, mais concret.
6. Une dernière image pour la route
Imagine une forêt après un incendie.
Le sol est noir, les troncs calcinés, l’air sent la cendre.
Et pourtant, quelques semaines plus tard,
de minuscules pousses vertes percent la terre brûlée.
L’humanité, aujourd’hui, ressemble à la fois
au feu qui ravage et à la jeune pousse qui renaît.
De là où nous sommes, nous ne savons pas encore lequel des deux prendra le dessus.
Mais nous savons une chose :
très peu d’espèces ont, comme vous, la capacité de se regarder en face et de changer volontairement de trajectoire.
